Rien ne va plus pour l’économie tunisienne. Elle ne cesse d’encaisser, ces dernières années, les coups au point que certains économistes font craindre le pire et évoquent même un naufrage financier imminent. La dernière dégradation de la note souveraine de la Tunisie est tombée comme un couperet, enfonçant le clou davantage dans une situation catastrophique des finances publiques.
L’agence de notation Fitch Ratings vient de réviser à la baisse la note de défaut à long terme, des émetteurs en devises étrangères (IDR) de la Tunisie de B- à CCC. En juillet dernier, la même agence avait révisé à la baisse la note de défaut à long terme, des émetteurs en devises étrangères de la Tunisie de B à B-, avec perspective négative.
Dans un communiqué publié vendredi dernier, Fitch Ratings indique que la rétrogradation à CCC reflète des risques de liquidité budgétaire et externe accrus dans le contexte de nouveaux retards dans l’accord sur un nouveau programme avec le Fonds monétaire international (FMI). L’agence précise que cet accord avec le FMI est nécessaire pour accéder à la plupart des bailleurs de fonds en vue d’un soutien budgétaire. La grogne sociale limite la capacité du gouvernement à adopter des mesures d’assainissement budgétaire fortes, compliquant les efforts visant à aboutir à un accord avec le FMI, a-t-on également expliqué.
Parallèlement à la hausse des prix des produits de base, la lenteur de la mise en œuvre des réformes pourrait conduire à une situation où la restructuration de la dette est nécessaire pour la viabilité de la dette, même dans le cadre d’un accord avec le FMI.
Mais que veut dire réellement cette nouvelle dégradation de la note souveraine de la Tunisie et comment l’interpréter ? Si on sait que les notes souveraines attribuées par les trois principales agences de notation (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings) évaluent la solvabilité des Etats en tant qu’agents économiques, ces notes sont attribuées à la dette publique de chaque pays (dette à long terme et dette à court terme), pour la Tunisie la situation se complique davantage.
Pour comprendre la signification de ces notations, il faut savoir que ces agences attribuent par exemple la note maximale AAA («première qualité »), ou encore AA+, AA ou AA- («haute qualité»), ou bien encore par ordre décroissant A+, A ou A- («qualité moyenne supérieure »), lorsque la dette souveraine de long terme d’un Etat, celle dont les notes sont les plus suivies, est très sûre pour les investisseurs. Ainsi de suite, par utilisation des quatre premières lettres de l’alphabet seulement, ces agences accordent des notes jusqu’à C «peu d’espoir de recouvrement», et c’est le cas de la Tunisie juste avant D pour les pays en défaut.
Que risque vraiment la Tunisie ?
Quelle marge de manœuvre possède désormais le gouvernement Bouden et que risque vraiment la Tunisie ?
Au fait, tous les économistes sont unanimes à cet égard, en cas de retard d’accord avec le Fonds monétaire international, la Tunisie se dirige inévitablement vers la restructuration de sa dette, un scénario qui passe forcément par le Club de Paris. En effet, l’expert en économie, Moez Hadidane, assure dans ce sens que la Tunisie ne bénéficie plus d’une marge de manœuvre et n’a plus qu’un seul choix, celui de recourir aux prêts du Fonds monétaire international. «Elle est désormais contrainte, aujourd’hui plus que jamais, d’engager les réformes exigées par le bailleur de fonds, loin des tiraillements et des conflits d’intérêts», a-t-il insisté. Autrement dit, la Tunisie doit appliquer littéralement les réformes exigées par le FMI et engager les réformes douloureuses auxquelles s’oppose la Centrale syndicale.
La marge de manœuvre est d’autant plus serrée que la Tunisie ne pourra plus obtenir des financements auprès de n’importe quel pays et mobiliser des financements extérieurs, en raison de l’abaissement de sa note souveraine, a expliqué l’économiste, ajoutant que la Tunisie est actuellement dans une situation très critique qui nécessite, en premier lieu, l’adoption de réformes urgentes afin de pouvoir recourir aux prêts du FMI.
Pour sa part, Mohsen Hassan, ancien ministre du Commerce, a prédit des impacts dévastateurs sur l’économie tunisienne suite à cette nouvelle dégradation. Cela signifie des «risques souverains énormes avec possibilité de défaut de remboursement de la dette extérieure», a-t-il expliqué, mettant en garde contre «un surcroît de complications pour la Tunisie qui souffre déjà d’une crise politique, économique, sociale et financière sans précédent».
Une lueur d’espoir ?
En dépit de cette situation qualifiée de catastrophique par les économistes, les autorités maintiennent un discours optimiste même si la crise bat son plein en Tunisie. D’ailleurs, le chef de la Centrale syndicale, Noureddine Taboubi, a invité le Président de la République, Kaïs Saïed, à «dire la vérité aux Tunisiens», faisant craindre le pire pour la prochaine période. Cependant, pour le FMI, il existe des indicateurs positifs dans les négociations avec la Tunisie. Dans ce contexte, une équipe réduite des services du Fonds monétaire international (FMI) se rendra, fin mars, en Tunisie, afin de poursuivre les discussions avec les autorités, concernant un nouvel accord de financement en faveur du pays.
Rappelons également que la ministre des Finances, Sihem Nemsia, avait toujours indiqué que ces discussions ont été «efficaces» et «répondent à tous les interrogations et détails demandés par le FMI, en toute transparence».
En tout cas, pour le gouvernement Bouden, tout le défi réside dans les moyens de convaincre les Tunisiens et notamment la Centrale syndicale de l’utilité, mais aussi de l’efficacité des réformes douloureuses qu’il compte engager à court et à moyen termes. Autrement, il faut s’attendre inévitablement à une explosion sociale qui provoquera une nouvelle crise de taille en Tunisie.